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Les réseaux qui durent sont sous licence CC BY SA

Extrait de ce texte de Gatien Bataille sous licence CC BY SA

Introduction : Un monde à la dérive

Imaginez le monde actuel à la lumière de ces données

  • Nous sommes il y a quelques millénaires. Pour utiliser la lettre "e", il faudra me verser des royalties. Il y a des milliers d'années, l'humain passe un cap majeur : c'est l'invention de l'écriture et des alphabets. Un peu en avance sur mon temps, j'entrevois rapidement l'intérêt de protéger la lettre "e" par une licence restrictive. Dorénavant, à chaque fois que vous désirez utiliser cette lettre, payez ou réduisez vos ambitions ;-)
  • Nous sommes dans un atelier en Mésopotamie, 3500 ans avant Jésus Christ. Par un coup de génie (surtout inspiré de la nature mais chuuut) je viens d'inventer la roue ! Un peu en avance sur mon temps, j'entrevois rapidement l'intérêt de protéger cette invention par une licence restrictive. Dorénavant, à chaque fois que vous désirez utiliser une roue il faudra me verser des royalties !
  • Il y a 350 000 ans, en bordure d'une grotte, voilà des jours et des jours que je tente de reproduire ce feu que nous chérissons et entretenons lorsqu'il tombe du ciel. Et voilà que je tombe enfin sur la "méthode reproductible" à souhait pour faire du feu. Un peu en avance sur mon temps, j'entrevois rapidement l'intérêt de protéger cette invention par une licence restrictive. Dorénavant, à chaque fois que vous désirez faire du feu il faudra me verser des royalties !

Maintenant passons dans la réalité

  • Une société australienne est parvenue à placer une licence sur un gène humain lié à un type précis de cancer. Résultat : Pour pouvoir étudier ce gène afin de trouver un médicament, il faut payer.
  • Une institutrice avait lancé un blog sur lequel elle échangeait avec ses élèves. Elle s'est vue attaquée par le quotidien "Le Figaro" pour violation du droit de sa marque... Eh oui, le blog de l'enseignante se nommait "La classe de Madame Figaro" (par ailleurs le vrai nom de cette femme).
  • Monsanto retente une fois encore de placer ses semences de soja sous le contrôle d'une licence, ce qui empêcherait à terme tout personne n'ayant pas payé de royalties de resemer les semences de soja produite dans son champ.
  • Une société canadienne demande quant à elle 150 euros par utilisation d'un simple extrait de son contenu (ce qui revient à faire disparaître un droit reconnu, celui de la citation).
  • Le robot censeur (content ID) qui scanne en permanence les vidéos déposées sur Youtube a entraîné le retrait de plusieurs vidéos sous prétexte de violation du droit d'auteur. La vidéo d'un amateur de nature s'est vue retirée car les chants d'oiseaux en arrière fond (le son pris en direct dans la nature) ont été reconnus par le robot comme violant le droit d'auteur (par erreur bien sûr). Autre exemple, une vidéo amateur des météorites de Russie a été considérée comme violant le droit d'auteur car sur l'autoradio on entendait au loin une chanson.

Et pourtant…

Le succès de Walt Disney ne repose-t-il pas dans une large mesure sur le fait d'avoir puisé librement dans le patrimoine des contes et des légendes, devenus entre temps des modèles littéraires du domaine public ? Disney a, parmi d'autres, redonné vie à des personnages emblématiques comme Blanche Neige, la petite Sirène ou la Belle et la bête. Il les a modifiés, "remixés", réincarnés. Le résultat lui a fait gagner de l'argent. Ce succès commercial repose donc lui aussi sur le recours à un héritage culturel commun.

Il en résulte un "devoir de restitution" envers la collectivité. Ou bien doit-il être possible de revendiquer des droits exclusifs d'exploitation sur quelque chose qui tire son origine de notre culture commune ?

Disney devrait bien plutôt laisser Mickey Mouse et Donald Duck à la libre disposition du public, les investissements ayant déjà été plusieurs fois couverts.

Pourquoi les licences ouvertes permettent la valorisation financière des productions du réseau ?

Les niveaux de richesse dans un réseau.

Avant d'aller plus loin, il faut expliciter la notion de niveaux de richesse dans un réseau :
  • Les richesses de niveau 1 : c'est la juxtaposition des richesses individuelles apportées par chacun des membres
  • Les richesses de niveau 2 : Ce sont les productions dérivées et coproduites par le réseau à partir des richesse individuelles de ses membres
  • Les richesses de niveau 3 : Ce sont les productions dérivées et coproduites par le réseau ET les réseaux avec qui ils échangent en mutualisant leurs richesses de niveau 2 respectives.

À partir du niveau 2, les richesses produites sont en général de qualité suffisante que pour envisager une valorisation financière.

Exemple d'un réseau qui partage

Richesse de niveau 1 : Le réseau s'organise et compile les apports individuels de ses membres
Les membres discutent du statut des apports de chacun et choisissent consciemment de placer leurs apports sous licence ouverte (vraiment ouverte donc sans restriction d'utilisation commercial - le NC des licences Creatives Commons).Ce qui sous-entend que celui qui n'est pas d'accord retire ses apports.

Richesse de niveau 2 : Le réseau grandit et produit des oeuvres collectives en s'appuyant sur les richesses de niveau 1 (les apports personnels des membres). Ces productions collectives sont suffisamment "riches" que pour lancer une valorisation financière.
Grâce à la licence ouverte, les productions collectives sont valorisables facilement et ce même si certains membres du réseau ne sont plus présents ! Chacun ayant préalablement autorisé la valorisation de ses apports moyennant la mention de son nom et le maintien sous licence ouverte. (exemple : les contenus de la formation Animacoop)
Ceci est aussi valable si un membre du réseau s'empare des richesses de niveau 2 et les vend. Mais cela pourrait créer des tensions, voire le départ de ce membre qui ne pourrait plus se prévaloir de faire partie du collectif.

La force des licences ouverte Share Alike

Les réseaux ayant fait le choix des licences ouverte Share Alike (partage à l'identique) ont un effet de spirale important. Leurs productions étant souvent importantes et de qualité (car ils atteignent le niveau 2 de richesse plus facilement), ils sont régulièrement sollicités pour échanger des contenus avec d'autres réseaux proches ou similaires.

Si ces réseaux proches ont eux fait le choix d'une licence plus fermée (Non commerciale par exemple) l'échange est très difficile car les productions du réseau "ouvert" nécessite d'être partagée à l'identique… ceci oblige le réseau "plus fermé" à un choix :
  • soit il profite des richesses du réseau ouvert mais alors il doit adopter la même licence.
  • soit il ne veut pas quitter sa licence et il regarde avec envie et désespoir toutes les richesses qu'il aurait pu partager et les richesses de niveau 3 (hautement valorisables celle-là) qu'ils auraient pu faire ensemble ;-)

Les nouveaux biens communs

Emmanuel Dupont & Edouard Jourdain
Editions de l'Aube

L’apport déterminant d’Elinor Ostrom


Il ne serait pas possible de parler d’un renouveau des communs sans évoquer les travaux de l’économiste et politologue Elinor Ostrom, opportunément récompensée d’un Prix Nobel en 2009. Ils participent d’une véritable réhabilitation, tant doctrinale que politique, nourrie de nombreuses observations empiriques de communs (en charge, par exemple, de systèmes d’irrigation, de pêcheries, etc.). De ses travaux, retenons deux points nous intéressant particulièrement.

Face à la tradition économique libérale, qui considère que seuls quelques biens présentant des caractéristiques spécifiques (non exclusifs et non rivaux, pour reprendre la célèbre taxonomie de l’économiste Paul Samuelson) ne sont pas destinés à être gérés par le marché, Elinor Ostrom témoigne qu’un ensemble plus vaste de biens ou de ressources peut être mis en commun. Ses travaux soulignent aussi, contre la vulgate libérale arguant du caractère utopique ou de l’inéluctable « tragédie des communs », que les communs sont économiquement efficaces. Ce faisant, elle participe d’une pensée économique donnant une importance essentielle aux institutions.

Plus précisément, Elinor Ostrom porte et valide empiriquement le très important concept de « faisceaux de droits » consistant à reconsidérer la notion de propriété en rééquilibrant les droits liés à la propriété et les droits liés à usage, et ouvrant la possibilité de donner corps au concept de propriété commune. Ce faisceau de droit procède d’une définition de la propriété décomposée en cinq droits : le droit d’accès, le droit de prélèvement, le droit de gestion, le droit d’exclure, le droit d’aliéner. Ces droits se répartissent schématiquement entre quatre catégories d’acteurs : propriétaire, propriétaire sans droit d’aliénation, détenteurs de droits d’usage et de gestion, utilisateur autorisé. Cette approche permet d’identifier des régimes de propriété se composant et se décomposant selon la distribution des droits qu’ils incluent (par exemple, la propriété peut se composer de droits clairement définis sans que cela implique qu’ils intègrent le droit d’aliéner).

Au-delà de leurs apports économiques et juridiques, les travaux d’Elinor Ostrom soulignent ce que nous pourrions appeler une première dimension instituante des communs, soit la capacité d’une communauté à se constituer et à durer, par la mise en place de bonnes règles de gouvernance. Ces dernières sont exigeantes en ce qu’elles requièrent des usagers véritablement dépendants de la ressource (donc très concernés) et une vision partagée de la ressource (fondant un accord minimum). La coopération entre les parties prenantes doit être égalitaire, fondée sur la confiance et la réciprocité : les règles qui l’encadrent doivent être en conséquence et valider la capacité et la responsabilité de chacun. Elles doivent aussi porter une attention toute particulière aux mécanismes de prise de décision et de résolution des conflits. Dernier point qui caractérise ces communautés de gestion, elles doivent, selon Elinor Ostrom, obtenir l’appui et la reconnaissance d’institutions plus larges pour pouvoir se maintenir.

Ces travaux constituent une base empirique et analytique essentielle pour penser les communs. Plus largement, ils ouvrent la voie à une réflexion plus institutionnelle sur l’organisation politique de nos sociétés. Deux points nous semblent importants.

Le premier, c’est que les individus sont dotés d’une réelle capacité à entrer en coopération et à concevoir des règles de coordination et de gestion allant dans ce sens : les ressorts de l’intérêt privé et la compétition (pour les tenants du marché) ou de la hiérarchie et de la délégation (pour les tenants de l’État) ne sont que deux modes de gestion/distribution de la ressource parmi d’autres et manifestent en de très nombreuses occasions leur inadaptation à la situation. Les communs présupposent et consacrent un principe de responsabilité partagée des individus.

Le second point, c’est l’idée que l’efficacité et le développement des communs doivent s’inscrire dans un cadre institutionnel, comprenant l’État et le marché. Cette approche participe d’une sorte de réalisme économique, mais aussi politique. Elinor Ostrom valorise donc les échanges et les perméabilités entre les communs, le marché et l’État, en les rapportant fréquemment à des enjeux de coopération entre échelles géographiques (le commun étant plutôt local et l’État supra-local). Assumant pleinement la diversité et la combinaison des niveaux de prise en charge des biens et des ressources, Elinor Ostrom développe le concept de « polycentrisme politique ». Outre leurs compétences à se mettre en coopération, à ériger de bonnes règles de gestion, les communs participent donc d’un véritable savoir-faire sociétal à combiner des régimes d’action différents6. Cette compétence a été parfois mal comprise et réduite soit à une sorte d’idéal de cohabitation harmonieuse, soit à une triste nécessité avec laquelle composer. La critique n’est certainement pas dénuée de fondement, mais elle omet de souligner qu’Elinor Ostrom élabore sa thèse sur le polycentrisme dans une visée de rééquilibrage de rapports institutionnels très asymétriques. Surtout, elle ignore qu’à travers la combinaison des régimes se matérialise la question essentielle des rapports d’échelles géographiques7. Nous le verrons, c’est, en effet, un problème et un enjeu déterminant pour penser le développement des communs, notamment lorsque l’on souhaite penser la gestion collective de biens ou de ressources à grande échelle (le numérique étant une exception notable).

Démocratie des communs

Revue esprit

Introduction

Édouard Jourdain


Les communs, dans leurs dimensions théorique et pratique, sont aujourd’hui devenus une notion investie de manière plurielle, pragmatique et radicale, pour concevoir des modalités d’organisation alternatives à l’exclusion propriétaire et étatique. Ils s’inscrivent dans une longue histoire mais resurgissent depuis quelques années, non seulement pour se protéger des prédations économiques et politiques, mais aussi comme forces de proposition pour envisager un nouveau rapport aux choses, à la démocratie et à l’environnement, sous l’angle de l’autogouvernement, de l’autogestion, de la coopération et du partage. Les communs, en tant qu’institutions, se focalisent moins sur les ressources que sur les modalités de gouvernement et de production des règles.

Synthétisant les travaux d’Elinor Ostrom, Benjamin Coriat caractérise les communs comme des « ensembles de ressources en accès partagé et collectivement gouvernés au moyen d’une structure de gouvernance assurant une distribution des droits et des obligations entre les participants au commun (commoners) et visant à l’exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction dans le long terme7 ». Plus largement, le commun est un principe politique qui désigne « le fait que des hommes s’engagent ensemble dans une même tâche et produisent, en agissant ainsi, des normes morales et juridiques qui règlent leur action8 ». Ce sont donc l’action et la capacité à instituer le commun – et non l’appartenance des individus ou les biens concernés – qui fondent l’obligation. Ce qui importe n’est pas la chose, mais la charge partagée entre les hommes. Ainsi, « la co-obligation des “hommes du commun” est celle qui leur impose d’user de cet inappropriable de manière à le préserver et à le transmettre9 ». Le commun conduit alors à envisager une démocratie radicale, économique et politique, critique à la fois du capitalisme et de l’État.

Les communs constituent aujourd’hui un mouvement pluriel qui prend de l’ampleur, investissant de nouvelles manières de concevoir des pratiques d’auto-organisation, de coopération et de gestion collective. De plus en plus d’acteurs s’en réclament, certains en font sans le savoir, et si toutes les initiatives ne convergent pas nécessairement, ni ne se coordonnent entre elles, il est indéniable que l’on observe une dynamique des communs, empruntant simultanément à des considérations sociales, économiques mais aussi politiques.

Le commun conduit à envisager une démocratie radicale.

Les communs permettent alors de renouveler à la fois une théorie et une pratique de la démocratie en dépassant les clivages traditionnels du public et du privé, de l’État et de la société, notamment en repensant le droit et la réappropriation par les parties prenantes de la chose publique. D’autre part, dans la mesure où leur fonction sociale consiste à préserver les ressources et ce qui compte pour une société, les communs s’inscrivent dans une écologie politique qui renouvelle les théories et pratiques de la démocratie. George Caffentzis et Silvia Federici reviennent sur la notion de commun dans l’histoire et sur ses différentes acceptions politiques. Ils montrent ainsi en quoi différents mouvements ont pu promouvoir des formes d’organisation et de production en marge de l’État et du marché tout en insistant sur leur potentialité à changer les rapports sociaux, y compris en termes institutionnels. Tout l’enjeu consiste alors à ne pas faire l’objet de commons-washing et ne pas être récupérés à des fins qui iraient à l’encontre de leur raison d’être. Dans cette perspective, les communs doivent être envisagés au-delà d’un simple « troisième secteur » palliant les déficiences de l’État et du marché.

L’approche par les communs de la propriété dépasse les seules options de la privatisation et de la nationalisation (au sens d’étatisation), dans la mesure où elles restent prisonnières de la logique propriétaire (au sens du droit absolu d’une personne sur une chose). En relativisant la dimension absolue de la propriété et en la concevant comme un faisceau de droits, l’approche par les communs de la propriété propose ainsi des formes de démocratisation de l’économie. Dans le cadre de la crise de la Covid, Pierre Crétois revient ainsi sur la propriété des brevets et montre en quoi leurs justifications ne tiennent pas. La question qui se pose aujourd’hui et met au défi notre conception absolutiste de la propriété est la distribution des droits propriétaires et des droits communautaires sur les choses, ce qui suppose de reconnaître que les choses sont fondamentalement inappropriables. Pierre Crétois propose alors de considérer, à partir des notions de réciprocité et de bénéfices communs, des formes de mutualisation qui permettent une gestion partagée des ressources, tout en sauvegardant le droit des individus à vivre de leur participation à l’innovation industrielle.



D’autre part, la démocratisation de l’économie ne saurait être concevable sans une approche par les communs de la notion de capital. Édouard Jourdain revient ainsi sur la comptabilité comme objet politique, dans la mesure où elle traduit ce qui est capital pour une société en le considérant comme une entité à préserver. C’est ainsi que le capital, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, est abusivement réduit à son aspect financier, comme aboutissement d’une théorie et d’une pratique qui émerge en Italie au XIVe siècle. Or l’approche par les communs, du fait de l’inclusion démocratique et écologique qu’elle suppose, permet de reconsidérer la notion de capital, notamment en montrant qu’elle est associée au concept de dette, et ainsi de reconsidérer l’économie dans sa dimension politique.

L’approche de l’État par les communs permet de repenser l’intérêt général selon des formes inédites de participation et de contrôle des citoyens, remettant notamment la commune – institution à hauteur d’homme – au centre de la vie politique. Pour pallier la bureaucratisation de l’État qui s’adresse aux individus comme à des entités abstraites et isolées, les communs sont susceptibles de le démocratiser, notamment par l’inclusion des usagers et la délibération, inscrivant ainsi l’individu dans un collectif, mais aussi en le dotant de capacités réelles à la fois en termes de gestion et d’accès aux biens et services. Pierre Sauvêtre montre ainsi que le développement des communs se heurte à des limites, s’ils ne s’inscrivent pas dans une organisation démocratique plus large dont ils sont porteurs. Des mouvements municipalistes ont déjà vu le jour, qui portent en germe un renouvellement de la notion de démocratie, eux aussi avec leurs limites. Pour y remédier, il examine notamment la pensée de Murray Bookchin, pour qui le confédéralisme comme institution dépasse le localisme et est destiné, à terme, à constituer une alternative à la forme État-nation. Dans cette perspective, plusieurs expériences méritent une attention particulière, des Gilets jaunes au Rojava en passant par le Chiapas.

Cette conception inclusive de la démocratie par les communs permet ainsi de rendre compte des conditions de préservation de l’environnement, en concevant la possibilité de représentations et de droits d’entités naturelles et de milieux, induisant ainsi l’expérimentation de nouvelles institutions politiques et économiques capables de relever l’urgent défi de la transition écologique. C’est ainsi que Ferhat Taylan, revenant sur le rapport problématique entre nature et démocratie, montre les limites de certaines conceptions juridiques consistant à personnifier les sujets non humains en dépolitisant les enjeux afférant à la nature. Il montre ainsi que les communs constituent un vecteur indispensable de la démocratie écologique, en évitant de reconduire une séparation entre les humains et les non-humains par la reconsidération de la notion de milieu.

L’autogouvernance des biens communs, Elinor Ostrom

https://autogestion.asso.fr/lautogouvernance-des-biens-communs%c2%a0-lapproche-delinor-ostrom-2/

La pensée sur l’autogestion entretient de nombreuses parentés avec les recherches menées sur les biens communs en économie. Le travail d’Elinor Ostrom constitue un canevas pour comprendre comment des communautés d’individus parviennent à s’auto-organiser pour gérer des ressources commune, dans certains cas plus efficacement que via le marché ou l’État. Les acteurs intéressés par l’autogestion peuvent y trouver une analyse fine des modes de gouvernance grâce auxquels les communautés réussissent à prendre en charge elles-mêmes l’exploitation de ressources locales. Il ne s’agit pas d’affirmer que l’autogestion est systématiquement la voie la plus efficace pour gérer les communs mais de pointer sous quelles conditions c’est possible.

La « tragédie des communs » et la recherche de solutions pour gouverner les communs

Dans un article célèbre, Hardin (1968) présente la « tragédie des communs ». Il prend pour exemple un pâturage laissé en libre-accès. D’après lui, un tel pâturage est voué à se détériorer : individuellement, chaque éleveur a intérêt à y faire paître le plus grand nombre de bêtes possible puisque la dégradation qui en résulte est supportée par la collectivité et non par lui seul. D’après Hardin, ce schéma menace toute ressource présentant les propriétés de bien commun.

A la suite de cet article, un grand nombre de chercheurs se sont penchés sur les moyens d’éviter la surexploitation des ressources communes. Comme le résume Hardin lui-même, deux grands types de solutions sont alors envisagées : le recours à une autorité publique (par exemple, instauration d’une réglementation par l’Etat pour déterminer qui a le droit d’exploiter la ressource et selon quelles modalités) ou le recours au marché (par exemple, découpage du pâturage en parcelles individuelles dont les éleveurs deviennent propriétaires). Dans les deux cas, on considère que pour gouverner correctement la ressource commune il faut imposer aux individus des règles qu’ils ne sont pas capables de faire émerger seuls.

Cependant, à partir d’observations de cas réels, Ostrom (1990) observe qu’en pratique ni le marché, ni l’État ne constituent des solutions universelles : dans certains cas, les communautés d’individus parviennent à de meilleurs résultats en organisant elles-mêmes l’exploitation de leurs ressources communes. Notamment, la connaissance locale accumulée par l’expérience est souvent un atout précieux pour élaborer des règles efficaces (ces dernières, dans de nombreux cas, n’émergent qu’à l’issue d’un long processus d’essais et d’erreurs). L’objectif du travail d’Ostrom est de comprendre dans quelles conditions et par quels moyens cela est possible. Elle entend ainsi fournir un cadre théorique remettant en cause la présomption selon laquelle « les individus ne savent pas s’organiser eux-mêmes et auront toujours besoin d’être organisés par des autorités externes » (Ostrom, 2010: 39) sur laquelle reposent bon nombre de décisions politiques.

La problématique centrale du travail d’Ostrom


Ostrom entreprend dans les années 1980 de réaliser une synthèse des études menées sur la gestion des ressources communes. Elle constate qu’il existe une abondante littérature, portant sur plusieurs milliers de cas en sociologie, anthropologie, économie, écologie, etc, mais qu’aucun travail n’en donnait une vue d’ensemble interdisciplinaire. A la lecture de toutes ces études, l’équipe réunie autour d’Ostrom estime que quatre types d’informations permettent de comprendre comment une ressource est gérée par une communauté :

  • 1. La structure du système de ressources
  • 2. Les attributs et comportements des appropriateurs (la notion d’« appropriateur » désigne l’ensemble des usagers qui bénéficient de la ressource commune et/ou s’organisent pour la gérer)
  • 3. Les règles utilisées par les appropriateurs
  • 4. Les effets du comportement des appropriateurs.

Dans un premier temps, leur démarche va alors consister à extraire ces informations sur un grand nombre d’études de cas pour pouvoir ensuite les traiter quantitativement.

Dans un second temps, Ostrom a cherché à comprendre quels facteurs favorisaient la réussite ou au contraire l’échec d’un mode de gouvernance. Parmi l’ensemble des cas répertoriés, on peut parler de « réussite » lorsque la ressource a été durablement gérée par la communauté (les règles de gouvernance pouvant évoluer au fil du temps) et d’« échec » lorsque les institutions mises en place ont mené à la dégradation du commun.

Quelques exemples de communs auto-gouvernés


Les communautés étudiées par Ostrom (1990) sont des groupes de 50 à 15000 personnes situées dans un seul pays à la fois (on trouve des exemples dans de très nombreuses régions du monde : Suisse, Japon, Espagne, Philippines…) et réunies autour d’une ressource commune dont elles sont fortement dépendantes sur le plan économique. Certaines de ces communautés sont très anciennes (jusqu’à 1000 ans). Les cas présentés portent notamment sur des ressources naturelles : terres, pêcheries, forêts, nappes phréatiques, systèmes d’irrigation.

Les aquifères de Los Angeles


Dans la région aride de Los Angeles, les aquifères représentent une ressource particulièrement précieuse : ils permettent d’approvisionner en eau les ménages et entreprises de la région à un coût largement inférieur à celui d’un château d’eau. Mais les aquifères sont fragiles : la surexploitation ou la pollution peuvent les détruire. Or, dans la première moitié du vingtième siècle, les droits d’extraction des propriétaires de terres situées sur les aquifères, ainsi que des autres appropriateurs (par exemple, les compagnies fournissant de l’eau à la région) étaient mal définis, ce qui incitait tout le monde à une sur-exploitation : chacun avait intérêt à pomper le plus d’eau possible, ce qui faisait baisser le niveau des nappes donc augmenter le coût de l’extraction pour les suivants, renforçant l’incitation à pomper le plus vite possible. Comme les règles étaient floues et en grande partie fondées sur l’antériorité de la présence (« premier arrivé, premier servi »), chacun des acteurs avait intérêt à exploiter un maximum la ressource de manière préventive pour faire valoir sa légitimité en cas de litige.

Pourtant, la mise en places d’arènes publiques a permis d’aboutir à une gouvernance durable dans les années 1960. Face au risque de destruction des aquifères, les acteurs sont parvenus à établir des règles empêchant la surexploitation. Les arènes furent initiées par une ordonnance judiciaire, mais ensuite ce sont les acteurs eux-mêmes qui négocièrent les règles de la nouvelle gouvernance. Le premier aquifère pour lequel un accord fut trouvé entre acteurs servit de point de repères aux autres pour entamer leurs négociations. Les raisons qui incitèrent les acteurs à se mettre d’accord furent d’une part les rapports scientifiques alarmants sur l’état des aquifères et d’autre part la pression exercée par le justice californienne qui menaçait d’imposer un rationnement des exploitations. Dans la plupart des communautés concernées, les acteurs finirent par s’engager sur une réduction de leur exploitation en contrepartie d’un engagement similaire « équitable » de la part de leurs pairs ou concurrents. Ce processus, très conflictuel, a duré plusieurs années mais a permis d’aboutir à une gouvernance durable et, d’après les estimations d’Ostrom, son coût (négociations, actions en justice…) a finalement été inférieur à ce qu’aurait coûté la construction d’équipements de substitution tels que des châteaux d’eau.

Bilan


Avec un recul de quelque cinquante ans, on observe que les règles mises en place dans les années 1950 et 1960 ont été durables et efficaces. Un système de surveillance et de transparence a permis de contrôler les comportements des exploitants. Si des infractions ont pu être commises, elles sont restées de faible ampleur ; généralement, lorsqu’un acteur pompe plus d’eau que ce à quoi les règles l’autorisent, le fait est immédiatement détecté et connu de tous et l’acteur mis en cause cesse assez rapidement d’enfreindre les normes.

Les communautés d’acteurs n’ont pas seulement établi les règles de gouvernance, mais ont aussi créé les institutions capables de les faire respecter : les zones des aquifères sont co-gérées par des entreprises publiques locales (ayant les pouvoirs de collecter les impôts, fournir des biens publics et engager des poursuites) et des associations privées d’exploitants. Les responsabilités sont donc partagées entre différents niveaux de représentation des acteurs. Ce modèle « polycentrique » se distingue clairement d’une régulation centralisée telle qu’un Etat aurait pu la mettre en œuvre.

Identification des facteurs de succès et d’échec de la mise en place de la gouvernance

Le cas des aquifères de Los Angeles permet de mettre en évidence certains facteurs de succès du processus institutionnel. Notamment, l’émergence des règles s’est fait par une suite de changements incrémentiels plutôt que par un changement unique et radical. Par ailleurs, la communication entre les communautés a été une des clés de la mise en place d’une gouvernance efficace dans la région: à partir du moment où le processus de changement de gouvernance a commencé, les « bonnes pratiques » de négociation se sont diffusées par voisinage d’un aquifère à l’autre.

Ostrom souligne également les difficultés qui ont pu rendre le processus institutionnel plus difficile, voire inefficace, pour certains aquifères. En particulier, les négociations se sont révélées plus conflictuelles dans les communautés qui comptaient un grand nombre d’acteurs, a fortiori s’il existait une grande asymétrie entre eux (en termes de taille par exemple).

Les communs peuvent aussi être des ressources non-naturelles : par exemple des biens culturels tels que le patrimoine. On trouve également des biens communs immatériels, intangibles, comme les logiciels libres… Coriat (2010) montre que ces biens ne posent pas exactement les mêmes problèmes que les communs « naturels ». Notamment, ces ressources ne sont généralement pas sensibles à la rivalité d’usage : le fait qu’un individu profite d’un logiciel ne diminue en rien l’usage que les autres peuvent en faire (c’est même souvent le contraire). De plus, contrairement aux communs naturels, les communs immatériels ne pré-existent à l’activité humaine mais en sont le résultat. L’enjeu porte alors plus sur l’enrichissement de la ressource commune que sur sa conservation, ce qui induit des modes de gouvernance différents.

Les résultats


Ostrom souligne la grande diversité des cas d’auto-gouvernance. De ce fait, il n’existe pas une unique manière de gouverner efficacement les communs mais une grande variabilité des règles mises en place en fonction des lieux, des époques, des cultures et des normes sociales en vigueur. De plus, avant de trouver les « bonnes » institutions de gouvernance, les communautés passent par des processus longs et conflictuels.

Toutefois, on peut repérer plusieurs points communs entre les systèmes de gouvernance qui se sont révélés efficaces et durables. Ostrom identifie huit « principes de conception » qui permettent d’établir les droits et les devoirs des membres de la communauté :

  • 1. La définition claire des appropriateurs et des limites de la ressource ;
  • 2. L’adaptation des règles de gouvernance aux conditions locales, puisque chaque communauté agit dans un environnement spécifique : habitudes culturelles, degré d’incertitude climatique… ;
  • 3. La participation des membres à la définition des règles communes. Toutefois, comme le rappelle Coriat (2010), la gouvernance des communs n’est pas exempte de hiérarchie : il existe des règles de différents niveaux et tout individu n’a pas nécessairement le même pouvoir de décision sur tous les types de règles ;
  • 4. La surveillance du respect des règles par les appropriateurs eux-mêmes leurs représentants ;
  • 5. L’existence de sanctions graduelles en cas de non-respect des règles ;
  • 6. L’accès facile et local à des mécanismes de résolution des conflits ;
  • 7. Le droit des appropriateurs d’élaborer leurs propres institutions sans remise en cause par un gouvernement externe ;
  • 8. Pour les communs de grande taille, l’organisation des activités de gouvernance sur plusieurs niveaux imbriqués.

Ces principes sont complémentaires : pris isolément les uns des autres, ils ne permettent généralement pas l’émergence d’un système durable de gestion du commun, comme l’illustrent plusieurs exemples de pêcheries et systèmes d’irrigation ayant « échoué » au Sri Lanka et en Nouvelle-Écosse. En revanche, une gouvernance efficace a plus de chances d’émerger s’il existe une bonne adéquation entre la nature du commun, la taille de la communauté, les conditions locales, les règles de surveillance, l’échelle des sanctions, etc.

A travers l’analyse ces principes, Ostrom consacre une partie importante de sa réflexion à la question de la coopération : individuellement, les membres de la communauté ne vont-ils pas être tentés d’enfreindre les règles et de « piller » la ressource commune ? Les cas observés montrent que des comportements coopératifs stables sont possibles dès l’instant que chacun a confiance dans le système de surveillance mutuelle, de sanctions et de normes sociales ; dans ce cas, même lorsqu’ils commettent des infractions, les individus le font dans une certaine limite qui permet de préserver la ressource commune.

Compléments


L’auteur et ses méthodes

Le travail d’Ostrom, qui a été fortement médiatisé depuis qu’il a été récompensé par le Prix de la Banque de Suède (« Prix Nobel » d’économie) en 2009, témoigne d’une importante ouverture disciplinaire. Ostrom, qui était au départ spécialisée en sciences politiques, a mobilisé depuis les années 1970 une grande variété de méthodes pour analyser la gestion des biens communs, en collaboration avec de nombreux autres chercheurs : ils se sont appuyés aussi bien sur la recherche documentaire que sur les statistiques, l’analyse institutionnelle ou la modélisation inspirée de la théorie des jeux ; les références théoriques vont de l’anthropologie à l’économie en passant par la psychologie, la sociologie, le droit…

Fondements théoriques : la particularité des biens communs en économie, définitions

  • 1. Initialement, en économie, la notion de « communs » renvoie aux biens combinant deux propriétés particulières : la rivalité et la non-excluabilité. Un commun est un bien dont la quantité et/ou la qualité diminuent s’il est exploité intensivement (rivalité) mais auquel il est difficile voire impossible de limiter l’accès (non-excluabilité). Dans cette perspective, Ostrom définit la ressource commune comme « un système de ressource suffisamment important pour qu’il soit coûteux (mais pas impossible) d’exclure ses bénéficiaires potentiels de l’accès aux bénéfices liés à son utilisation ». C’est le cas par exemple des forêts ou des ressources halieutiques.
  • 2. Par extension, on peut aussi parler de « communs » dans le cas de biens gérés par les communautés même s’ils n’ont pas intrinsèquement les propriétés économiques de rivalité et de non-appropriabilité.

  • 3. Les définitions 1) et 2) ne se recoupent pas forcément : un bien peut présenter les propriétés de rivalité et de non-excluabilité mais être géré de manière privée (par exemple, une forêt appartenant à un particulier qui en interdirait l’accès à autrui) ; à l’inverse, un bien peut être géré « en commun » alors qu’il a les attributs économiques d’un bien privé (ce pourrait être le cas d’un équipement mis à la disposition d’une communauté, mais auquel on pourrait réglementer l’accès). La notion de « communs » recouvre ainsi une grande variété de réalités économico-institutionnelles.

Bibliographie indicative


  • Coriat, B., 2011, « From Natural-Resource commons to knowledge commons. Common traits and differences », LEM working paper, Sant’Anna School of advanced studies.
  • Hardin, G., 1968, « The Tragedy of the Commons », Science, vol 162, n°3859.
  • Holland G. et Sene O., 2010, « Elinor Ostrom et la gouvernance économique », Revue d’économie politique, vol. 120 (3), p. 441-452.
  • Ostrom, E., 2010, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck, Traduction de Ostrom, E., 1990, Governing the Commons

Arpentage sur les communs

La recette de l'arpentage

Le timing de l'arpentage

  • 5 min : présentation de la méthodo de ce qu'est un arpentage + faire 3 groupes
  • 5 min : faire des hypothèses sur le sujet
  • 20 min : lecture des contenus
  • 15 min : discussion en sous groupe pour commence à structurer les idées
  • 20 min : construire une carte heuristique collectivement (la carte constitue la restitution)

Groupe 1 : définitions-historique (28 min cumulées)


Groupe 2 : Les communs et la société (20 min cumulées)

  • Commun P.Dardot et C. Laval p.179 et p.188
  • Les licences libres, pourquoi et comment les utiliser par Audrey Auriault (vidéo 8'11)
  • Pour une société contributive J.P. Derumier p.386
  • Politiser le renoncement A. Monnin p.31 à 38 et p.43 à 47
  • Retour aux communs M. Maguy p.185


Groupe 3 : retours d'expérience, témoignages, exemples (34 minutes cumulées)



Autres ressources sur les communs

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