1. La notion classique des Communs

Résumé Un récit historique de la notion "classique" des Communs
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  • Les Communs et le partage de connaissances
Description
Voici ci dessous un article partagé sous licence CC BY SA par Anne Lechêne.
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Voici une histoire vraie, qui commence au Moyen-Âge et est directement reliée à l’essor d’Internet et du logiciel libre : l’histoire méconnue des communs. Elle fut exhumée en 1990 par Elinor Ostrom des poubelles de l’Histoire où l’avait projetée un certain biologiste Garrett Hardin par un article de 1968 : « The Tragedy of The Commons ».

Histoire et contre-histoire du mouvement des Enclosures

L’histoire se passe au Moyen-Âge, dans les campagnes d’Angleterre, où les paysans avaient depuis des temps immémoriaux le droit de couper du bois, des genêts, de récolter du miel ou de mener paître leurs animaux sur des terrains communaux. Ces terrains – landes, forêts, garrigues et autres prés communaux – gérés en commun, n’étaient pas délimités par des clôtures et n’appartenaient à personne en particulier.

Les paysans usaient ainsi d’un droit coutumier d’usage sur ces biens communaux, sans avoir à payer une contrepartie à la communauté ou au seigneur, contrairement à d’autres droits seigneuriaux comme l’usage du four à pain ou du moulin. Avec le droit de pacage et le droit de glanage, le droit d’usage des communaux procurait une certaine sécurité aux familles paysannes, pour leurs besoins fondamentaux de la vie courante.

Cette organisation traditionnelle fut remise en question à partir du 12e siècle, et surtout entre le 15e et le 18e siècle, avec le développement en Angleterre de la production et du commerce mondial de la laine. Les riches propriétaires fonciers cherchèrent à agrandir les surfaces de pâturages nécessaires à l’élevage des moutons pour la laine. Les terrains communaux furent clôturés et rendus aux moutons, tandis que les familles paysannes tombaient dans la précarité. C’est ce que les historiens ont appelé le mouvement des Enclosures. Au fil des 17e et 18e siècles, la Chambre des Communes, le Parlement anglais, mettait fin aux droits d’usage et démantelait les Communaux par les Enclosure Acts.

C’est tout un « sens de l’Histoire » favorable au libéralisme économique qui est mis en scène, avec ce premier acte d’enclosure de ressources naturelles, précédemment gérées au bénéfice de la communauté de façon coutumière. Une contre-histoire de ces évènements coexiste cependant. Dès 1516 Thomas More écrivait dans Utopia : « Vos moutons, que vous dites d'un naturel doux et d'un tempérament docile, dévorent pourtant les hommes … ». Mais durant plusieurs siècles, cette autre petite musique ne fera pas grand bruit.
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The Tragedy of the Commons

Les moutons s’invitent à nouveau dans la littérature sur les communs, comme personnages d’une fable philosophico-économique de Garret Hardin, dans un célèbre article paru dans la revue Science en 1968, intitulé « The Tragedy of The Commons ».

Dans cet article, Garrett Hardin pense avoir démontré que l’humanité est incapable de gérer un bien comme un commun. Prenant l’exemple d’un pâturage laissé en libre accès, il affirme que des bergers cherchant à maximiser leur bénéfice suivent toujours leur intérêt - qui est d’amener paître davantage de moutons sur le champ. Au final, l’exploitation en commun de la ressource ne peut selon lui conduire qu’à sa destruction. Et l’auteur de conclure que seule l’appropriation, qu’elle soit le fait du marché (propriété privée) ou de l’État (propriété publique), peut garantir à long terme la préservation des ressources. C'est ce que Garrett Hardin nomme « la tragédie des communs », qui permettrait ainsi d’expliquer les problèmes de pollution et l'épuisement des ressources naturelles communes.

L’article devient rapidement une référence tant pour les économistes que pour les écologistes, contribuant à justifier dans la deuxième partie du 20e siècle la gestion directe soit par le marché, soit par les États, de l’eau, de la mer, des forêts ou des espaces naturels des peuples indigènes. Mais l’article relance aussi l’intérêt des chercheurs sur le sujet de la gestion des ressources naturelles et du risque de leur épuisement. Et arrive le moment où la théorie de Hardin est remise en question.
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Elinor Ostrom et les 8 principes de gouvernance des communs

Elinor Ostrom, économiste et politologue américaine, reprend à la base la question de la gestion des biens communs avec des observations empiriques. Ses études de terrain, menées sur plusieurs continents, lui permettent de constater que des communautés humaines sont capables de gérer des ressources communes telles que des pêcheries, des systèmes d’irrigation, des nappes phréatiques, des forêts ou des pâturages, de façon plus efficace pour l’exploitation comme pour la préservation à long terme de la ressource.

Dans son ouvrage Governing The Commons, publié en 1990, Elinor Ostrom met en évidence un ensemble de principes à respecter par la communauté pour y parvenir. La liste de ces 8 critères est aujourd’hui aussi célèbre que l’avait été l’article de Hardin. Ils définissent les conditions de mise en place d’une gouvernance ouverte :
  • des groupes aux frontières définies ;
  • des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et besoins locaux ;
  • la capacité des individus concernés à les modifier ;
  • le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
  • le contrôle du respect des règles par la communauté qui dispose d’un système de sanctions graduées ;
  • l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
  • la résolution des conflits et activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées.

À l’opposé des théories abstraites et uniformes sur le comportement d’homo œconomicus, les 8 principes d’Elinor Ostrom mettent en valeur la créativité et la résilience des groupes humains pour se doter de systèmes de gouvernance de leurs biens communs. Une bonne nouvelle pour la planète et ses ressources que l’on découvre limitées, et déjà fortement surexploitées, à la même période.