Scénario de débat mouvant sur le droit d’auteur et le collectif


Ce document a pour objectif de débattre de manière “amusante” autour du droit d’auteur et de ses implications avec les membres d’un collectif. Notamment pour aborder ensuite les questions de partage ou d’exploitation des ressources qui seraient produites ensemble.
Il se déroule sous le principe du débat mouvant. Chaque question est posée et nécessite que chacun prenne ensuite position (oui ou non) pour initier un mini débat.
Dans le charmant village de Montbrun-les-Bains, un travail collectif a débuté autour de l’édition d’un recueil de recettes villageoises agrémenté d’articles présentant le village et son passé.
Une association “le collectif” encadre ce travail et a pu obtenir des fonds auprès d’une fondation afin de permettre l’achat de photos auprès d’un professionnel (en plus de celles réalisées par les villageois eux-même) et son impression.
Le projet rassemble les énergies et se développe rapidement. C’est aussi l’occasion de faire parler, écrire les plus ancien.nes du village et de cristalliser ce savoir ancestral.
Après un temps de travail, l'association finalise l’ouvrage et l’imprime en 1000 exemplaires.
400 pour les villageois et le reste sera diffusé et vendu.
Chouette consécration et sacré fierté pour le village !

Rapidement Jules, signale à l’association que le livre n’a pas été déclaré et risque donc d’être “récupéré” faute de protection juridique. Il faut rapidement le protéger grâce au droit d’auteur.
Jules a-t-il raison ?

David, le photographe professionnel qui a contribué à l’ouvrage par ses photos du village est aussi un peu choqué et menace lui aussi d’attaquer l’association pour usage non concerté de ses photos. L’association rétorque qu’elle lui a commandé et payé ces photos et que donc “tout est en ordre”.
L’association a-t-elle raison ?

Carlo, qui a participé à l'écriture des textes avec d'autres villageois, se questionne sur les modifications ultérieures possibles du livre par l'association.
Est ce que l'association aura le droit de compléter ou de réécriture des textes ?

A peine ce débat entamé que Mauricette, qui a contribué via une recette de faisans aux mûres, fait valoir qu’elle n’avait pas donné son accord pour que sa recette soit diffusée aussi largement. Elle n'avait pas bien compris que sa recette intégrerait un livre qui serait vendu.
Elle demande à ce que sa recette soit retirée du livre sous peine de poursuites
Mauricette peut-elle faire valoir ce droit sur sa recette ?

Dans le livre, des parties d’articles de Wikipédia traitant du village ont été légèrement adaptés et incorporés mais en veillant à bien mentionner la licence requise (CC BY SA Wikipedia) pour les articles concernés.
N’aurait-il pas fallu du coup que l’ensemble du recueil soit placé sous cette licence CC BY SA ?

Marcel, le doyen du village s’en est allé ;-( Il avait été un fervent défenseur de cet ouvrage et y avait mis sa patte un peu partout.
C’était tellement agréable à lire et découvrir que le livre avait donné des idées aux villages avoisinants qui avaient alors contacté l’association pour avoir son accord pour “récupérer” en citant les sources des parties de l’ouvrage.
L'association s’était tournée vers les villageois contributeurs pour leur demander leur accord mais Oscar, le petit-fils de Marcel s’y est opposé.
A-t-il le droit de faire ça ?

1) Pour être protégé par le droit d’auteur, je dois…
En droit français, on distingue les droits moraux et les droits patrimoniaux. La partie morale du droit d'auteur naît sans formalité (contrairement aux autres droits intellectuels, à l’instar notamment des marques et des brevets).
Dès qu’une œuvre (originale) est créée, c’est-à-dire dès qu’elle est mise en forme et existe sous une forme tangible, elle jouit automatiquement de la protection par le droit d’auteur.
Ainsi, par exemple, vous commencez à écrire un livre. Ce que vous avez commencé à écrire (même si c’est loin d’être abouti) est protégé (pour autant que ce début d’écrit soit original, c’est-à-dire qu’il soit le résultat de vos choix libres et créatifs).
Pas besoin de dépôt, d’enregistrement, ou de copyright à l’américaine.
Après, mais c’est une autre question, reste la question de la preuve: pour pouvoir prouver que vous êtes l’auteur de votre œuvre, il peut être bon de la déposer ou de l’enregistrer (via, par exemple, l’INPI).
Mais de tels dépôts ou enregistrements sont uniquement utiles pour prouver votre création et la date de votre création. Rien de plus. Ce qui veut, concrètement, dire que si vous n’effectuez pas de tels dépôts ou enregistrements, vous pouvez quand même prouver autrement votre droit d’auteur (par ex. via les e-mails envoyés à votre éditeur; via des courriers dans lesquels vous discutez de votre œuvre avec vos partenaires; via des manuscrits datés; etc.).
Qu’on se le dise donc: une œuvre est protégée dès le jour de sa création; sans qu’il ne soit besoin d’effectuer un dépôt, un enregistrement, ou une autre formalité. Par contre, il peut se révéler utile d’ajouter la mention de l'auteur suivi ou précédé de son nom et d’une date, sur son œuvre.
2) Je peux protéger mes recettes de cuisine via le droit d’auteur ?
Les recettes de cuisine, depuis une jurisprudence du T.G.I de 1974, relèvent du champ des simples idées et sont, pour ce motif, non protégeables en tant que telles. Avec ces décisions, les juges admettent que si la recette est rédigée de manière originale, l’auteur pourra bénéficier d’une protection sur la rédaction, mais pas sur le contenu lui-même. Ainsi, un auteur pourra s’opposer à ce qu’un tiers recopie une recette publiée mot pour mot (en la postant sur internet par exemple), mais il ne pourra pas lui interdire de réécrire la recette, voire même de la rendre publique sous son nom.
voir aussi : https://www.depot-de-marque.com/actualite-pi/protection-juridique-recettes-cuisine/
3) J’ai commandé une œuvre, j’ai payé pour celle-ci, je suis donc propriétaire des droits d’auteur sur cette œuvre
Il est ici question du travail réalisé par un créateur indépendant; des créations réalisées sur commande auprès d’un prestataire indépendant (sans lien de travail; sans contrat de travail).
Exemple: besoin d’un site web ou d’un logo ; d’où appel à une agence; l’agence remet un devis; l’agence est rémunérée; de ce seul fait (commande-devis-rémunération au profit de l’agence), le logo appartient-il à celui qui a passé la commande et qui a payé? NON, si une cession expresse et écrite des droits intellectuels (essentiellement, d’auteur) sur le logo n’a pas été prévue.
Ce cas de figure conduit à énormément de litiges, à défaut d’avoir prévu des dispositions contractuelles quant à la propriété intellectuelle.
Il est donc nécessaire, là aussi, de prévoir des dispositions contractuelles claires sur la propriété intellectuelle lorsque l’on commande des créations à des tiers indépendants.
Par extension : Une œuvre créée par un employé n’appartient pas automatiquement à l’employeur
ce n’est pas parce qu’un employé créée une œuvre (par ex. un article, un logo, un dessin, un article…) dans le cadre de sa mission ou de son contrat de travail, que les droits d’auteur sur cette œuvre appartiennent directement ou automatiquement à son employeur.
Pour que les droits d’auteur appartiennent à l’employeur, il faut que ceux-ci lui aient été cédés par écrit (que ce soit via le contrat de travail, via un un autre contrat, ou via toute autre forme d’écrit).
Mais si l’employeur et l’employé n’ont rien prévu, par écrit, les droits d’auteur restent la propriété de l’employé…
Il existe certaines exceptions à ce qui précède (par exemple en matière de logiciels).
4) Il s'agit ici de l'importance de signer des contenus et de discuter de la notion d'oeuvre de collaboration ou d'oeuvre collective.
Si un auteur n'a pas signé l'oeuvre et/ou ne peut pas être identifié comme auteur principal d'une partie de l'oeuvre, il ne peut pas revendiquer de droits spécifiques sur cette partie.
Dans le cas d'une oeuvre collective impulsée par une personne physique ou morale où un certain nombre d'auteurs contribuent mais sans être identifiables, la propriété bénéficie à cette personne physique ou morale au nom de laquelle l'oeuvre est divulguée.
Au contraire, dans le cadre d'un processus d'écriture horizontale, l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des co-auteurs.
5) Je peux intégrer des oeuvres CC BY SA sans devoir mettre mon oeuvre aussi en CC BY SA ?
Cette clause SA est dite contaminante, c'est à dire qu'elle entraîne l'obligation de mettre l'oeuvre qui la contient aussi sous SA. Mais quand cette clause se déclenche-t-elle ?
  • Modifier le texte d'un manuel sous SA pour le mettre à jour ou le traduire => la clause SA se déclenche, car il y a bien adaptation ou production d'une nouvelle version.
  • Utiliser une musique sous SA dans un film => la clause SA se déclenche, car la synchronisation est considérée comme une adaptation. Le film entier devra être sous SA.
  • Utiliser une photo sous SA sans la modifier pour illustrer un blog (ou un livre). La clause SA ne se déclenche PAS, car pas d'adaptation, juste incorporation.
6) le droit d’auteur protège aussi l’oeuvre après la mort du créateur
Et ce pendant 70 ans concernant les droits patrimoniaux ! les ayants droits ont donc en effet le droit d’interdire l’usage de l’oeuvre
Le droit moral est perpétuel.

Sources et plein d'infos sur
Questions des Creative Commons.

Licence
Ce scénario est partagé en licence Creative Commons Attribution 4.0 International
Crédits : conception asbl Culture point wapi , conception Fabienne Morel 2016 , adaptation Nicolas Geiger 2018, synthèse/adaptation Guillaume Doukhan 2020